Les Carences en Nutriments et Micronutriments : Comprendre, Identifier et Prévenir

Introduction

Les carences nutritionnelles représentent un enjeu majeur de santé publique, touchant aussi bien les populations en bonne santé que celles atteintes de maladies chroniques. Une insuffisance en vitamines, minéraux ou oligo‑éléments avoir de graves répercussions sur le métabolisme et la physiologie. Cet article présente une synthèse des carences nutritionnelles, basée sur les recommandations de l’ESPEN (European Society for Clinical Nutrition and Metabolism, 2022). Il propose des solutions pour leur prévention et leur prise en charge.

 

Si vous êtes un médecin, découvrez le module d'aide à la décision diagnostique et thérapeutique en 3 clics, co‑développé avec l'AP‑HP, concernant les carences probables auxquelles votre patient fait face.

 

Qu’est‑ce qu’une carence nutritionnelle ?

Une carence nutritionnelle survient lorsqu'un organisme ne reçoit pas une quantité suffisante d'un ou plusieurs nutriments essentiels. Ces déficits peuvent concerner :

  • Les vitamines : D, B12, C, A, K, etc.
  • Les minéraux : fer, calcium, magnésium, zinc, cuivre, sélénium.
  • Les oligo‑éléments : iode, fluor, molybdène.
  • Les macronutriments : protéines, lipides, glucides essentiels.

 

Quels sont les types de carences nutritionnelles ?

  • Légères à modérées : souvent asymptomatiques et détectables par des bilans biologiques.
  • Sévères : entraînant des symptômes visibles et nécessitant une correction rapide.
  • Aigües ou chroniques : selon la durée et l'impact du déficit sur l'organisme.

 30% des patients hospitalisés en oncologie ou en chirurgie digestive présentent des carences nutritionnelles. Elles augmentent les risques de complications et allongent les durées d'hospitalisation.


Quelles sont les causes des carences alimentaires ?

Facteurs alimentaires

  • Régimes restrictifs (véganisme, alimentation déséquilibrée).
  • Malnutrition protéino‑énergétique.
  • Manque de diversité alimentaire.

Facteurs physiopathologiques

  • Troubles de l'absorption (Crohn, maladie cœliaque, chirurgie bariatrique).
  • Besoins accrus (grossesse, allaitement, croissance, maladies chroniques).
  • Interactions médicamenteuses (ex. : IPP et déficit en fer, metformine et carence en B12).

Facteurs environnementaux et comportementaux

  • Stress, consommation excessive d'alcool ou de tabac,
  • Exposition solaire insuffisante,
  • Pollution, impactant la biodisponibilité des nutriments.

 

Quels sont les symptômes associés aux carences nutritionnelles

Signes généraux

  • Fatigue chronique, faiblesse musculaire.
  • Perte de poids inexpliquée.
  • Troubles de l’humeur (anxiété, dépression).


Symptômes spécifiques selon le nutriment déficient


NutrimentSymptômes principaux
FerAnémie, pâleur, essoufflement
Vitamine B12Neuropathies, fatigue, anémie mégaloblastique
Vitamine DOstéomalacie, douleurs osseuses, faiblesse musculaire
ZincRetard de cicatrisation, troubles cutanés, immunité affaiblie
MagnésiumCrampes musculaires, troubles du sommeil, arythmies
IodeGoitre, hypothyroïdie

 

Quelles sont les conséquences des carences sur la santé et la qualité de vie ?

  • Anémie ferriprive (déficit en fer).
  • Ostéoporose (carence en calcium et vitamine D).
  • Déclin cognitif (carence en B12 et folates).
  • Affaiblissement immunitaire (déficits en zinc, sélénium, vitamine C).

 

Comment identifier les carences : Dépistage et diagnostic des carences nutritionnelles


Le diagnostic repose sur :

  1. Analyse clinique et anamnèse alimentaire.
  2. Bilans biologiques ciblés : dosage sanguin du fer, vitamines B12 et D, zinc, magnésium.
  3. Tests spécialisés en cas de suspicion de malabsorption.

 

L’AP‑HP a fait le constat suivant : les carences nutritionnelles concernent un grand nombre de patients hospitalisés ainsi que des patients pris en charge en ambulatoire. Les carences en vitamines et oligo éléments sont très prévalentes dans cette situation. Elles peuvent avoir des conséquences graves et irréversibles.
Par ailleurs, la chirurgie bariatrique connait une ascension significative dans cette dernière décennie. Or cette intervention s’accompagne également de survenue de carences nutritionnelles qui constituent son principal risque. Les médecins non spécialistes sont actuellement amenés à voir ces patients carencés/dénutris ou ayant bénéficié d’une chirurgie de l’obésité. Or le dépistage et la prise en charge des carences nutritionnelles constituent un vrai défi pour ces praticiens compte tenu du peu de ressources disponibles pour l’aide à la prise en charge.

Avec le concours de l’AP‑HP, Intertio a développé un applicatif aidant les médecins à affiner leur diagnostic.

Ce module permet à tous les professionnels de santé de choisir le meilleur traitement en tenant compte des situations cliniques particulières et antécédents que peuvent avoir les patients : hypertension, diabète, insuffisance rénale. Ainsi le médecin indique les signes cliniques présents lors de l’examen et l’application pourra générer une série d’hypothèses (par ordre de fréquence) de carences en micronutriment. L’application suggère une prise en charge adaptée à chaque situation selon les dernières recommandations.


Cet applicatif est destiné à tous les médecins hors spécialistes de la nutrition : médecin généraliste, urgentiste, internes et spécialistes. L’intention est de trouver l’information rapidement avec un algorithme qui guide vers les bonnes recommandations. En sensibilisant les professionnels de santé aux risques liée à la dénutrition et aux carences nutritionnelles, nous réduisons son incidence ses conséquences. 




Quels sont les traitements et comment prévenir une carence ? 

Approche nutritionnelle

  • Alimentation variée et riche en micronutriments essentiels.
  • Favoriser certains aliments:
    • Fer : viandes rouges, légumineuses, épinards.
    • Vitamine D : poissons gras, œufs, exposition solaire.
    • Magnésium : amandes, chocolat noir, bananes.
    • Vitamine B12 : viandes, poissons, produits laitiers.
    • Zinc : fruits de mer, graines de courge.

Supplémentation et suivi

  • Supplémentation si nécessaire (fer, vitamine D, B12, zinc).
  • Surveillance médicale pour éviter tout surdosage.

 

Focus sur les populations à Risque

Seniors : carence en vitamine B12, D, calcium et protéines.

Patients en oncologie : besoins nutritionnels augmentés.

Insuffisants rénaux : adaptation de l'apport en protéines et supplémentation

Femmes : risque de carence en fer, calcium, vitamine D et acide folique.

Les femmes, en raison de leur physiologie hormonale et de leur cycle menstruel, sont exposées à des déficits spécifiques.


Nutriment

Rôle clé


Facteurs de risque
FerTransport de l’oxygène, prévention de l’anémie

Menstruations abondantes, grossesse, régime végétarien


Calcium et vitamine DSanté osseuse, prévention de l’ostéoporoseCarence accrue après la ménopause
MagnésiumRégulation du stress, prévention des crampes musculairesStress chronique, alimentation déséquilibrée
Vitamine B9 (acide folique)

Prévention des anomalies du tube neural


Déficit fréquent chez les femmes en âge de procréer





 

Personnes en surpoids : déficits en vitamine D, fer, zinc, magnésium.

L’obésité est souvent associée à des déséquilibres alimentaires pouvant masquer des déficits nutritionnels.


Prévalence des carences
Rôle clé du nutriment
Facteurs de risque
Vitamine DMétabolisme osseux et immunitaire

Faible exposition solaire, stockage dans les tissus adipeux

Fer

Transport de l’oxygène


Inflammation chronique diminuant l’absorption

ZincFonction immunitaire et cicatrisationApport insuffisant, augmentation des besoins
Vitamines B1 et B12Métabolisme énergétique et nerveuxRégimes restrictifs, chirurgie bariatrique
MagnésiumFonction musculaire et nerveuseDéficit d’apport alimentaire



Impact de la chirurgie bariatrique sur l’assimilation des nutriments

La chirurgie bariatrique est une approche efficace pour la perte de poids chez les patients atteints d’obésité sévère. Cependant, elle entraîne des modifications anatomiques et physiologiques du tube digestif, réduisant l'absorption des nutriments essentiels. Cette malabsorption dépend du type d’intervention réalisée et peut conduire à une carence nutritionnelle sévère si une prise en charge adéquate n’est pas mise en place.


- Mécanismes d’altération de l’absorption selon le type de chirurgie


Les interventions bariatriques sont classées en trois grandes catégories. Chaque type d’intervention affecte différemment l’assimilation des nutriments, mais les carences les plus sévères surviennent après un bypass gastrique ou une dérivation bilio‑pancréatique.

Type de chirurgie
Mécanisme principal
Impact sur l'absorption

Gastrectomie en manchon (Sleeve gastrectomie)


Réduction du volume gastrique


Baisse de l’absorption du fer, de la vitamine B12 et des protéines (acidité gastrique réduite)
Bypass gastrique (Roux‑en‑Y gastric bypass - RYGB)Dérivation de l’estomac et du duodénumMalabsorption des vitamines liposolubles (A, D, E, K), du calcium, du fer et de la vitamine B12
Dérivation bilio‑pancréatique (DBP) avec switch duodénalRéduction de l’absorption intestinale par court‑circuitage du jéjunumMalabsorption sévère des macronutriments (protéines, lipides), des oligo‑éléments et des vitamines



- Principales carences nutritionnelles après chirurgie bariatrique


NutrimentRôle cléMécanisme de malabsorption
FerFormation de l’hémoglobine, transport de l’oxygèneDiminution de l’acidité gastrique (nécessaire pour convertir le fer non héminique en forme absorbable) et exclusion du duodénum, principal zone de captation
Vitamine B12Production des globules rouges, fonction neurologique

Réduction du facteur intrinsèque produit par l’estomac (nécessaire à l’assimilation intestinale de la B12)

CalciumSanté osseuse, contraction musculaireMalabsorption dans l’intestin grêle due à l’exclusion du duodénum et diminution de la vitamine D
Vitamines liposolubles (A, D, E, K)Immunité, coagulation, santé osseuse et visionAbsorption réduite en raison de la maldigestion des graisses et de la dérivation intestinale
ProtéinesMaintien de la masse musculaireApports insuffisants et malabsorption (surtout après DBP)
Zinc et cuivreImmunité, peau, fonction neurologiqueAltération de l’absorption intestinale et compétition avec le fer



                             - Explication Physiologique des Déficits


1. Réduction de l’Acidité Gastrique

·        La diminution de la production d’acide chlorhydrique après gastrectomie partielle empêche la solubilisation et l’activation de certains minéraux (fer, calcium).

·        L’acidité gastrique joue aussi un rôle dans la libération et l’activation du facteur intrinsèque, essentiel à l’absorption de la vitamine B12.

2. Exclusion du Duodénum et du Jéjunum

·        Le duodénum est le principal site d’absorption du fer, du calcium et des vitamines liposolubles. Son exclusion dans le bypass gastrique et la dérivation bilio‑pancréatique entraîne une diminution significative de leur assimilation.

·        La réduction du transit intestinal empêche l’action prolongée des enzymes digestives sur les nutriments.

3. Malabsorption des Graisses et des Vitamines Liposolubles

·        Dans la dérivation bilio‑pancréatique, la sécrétion de bile et d’enzymes pancréatiques est retardée, limitant la digestion des graisses.

·        Les vitamines A, D, E et K étant liposolubles, leur assimilation est réduite.

4. Déficit en Protéines

·        La dérivation bilio‑pancréatique entraîne une malabsorption des protéines, conduisant à une perte musculaire et une dénutrition protéino‑énergétique.

·        Les patients peuvent souffrir de sarcopénie (fonte musculaire) s’ils ne compensent pas par un apport suffisant.


4. Prévention et Prise en Charge des Carences Après Chirurgie Bariatrique

 Selon les recommandations de l’ESPEN et de l’ASMBS (American Society for Metabolic and Bariatric Surgery), afin de limiter les complications métaboliques et garantir un maintien optimal de la santé après l’intervention, il sera nécessaire de mettre en place supplémentation à vie, un suivi médical régulier et une adaptation de l'alimentation


Les impacts économiques des carences nutritionnelles

La Haute Autorité de Santé a estimé que la dénutrition coûtait environ 1 milliard d'euros par an au système de santé français (cf supra). La dénutrition a des conséquences importantes sur la santé des individus, notamment chez les personnes âgées, les malades chroniques et les patients hospitalisés. Elle entraîne également des coûts financiers significatifs pour la société et le système de santé en France

Les coûts liés à la prise en charge médicale

Allongement de la durée d'hospitalisations

La dénutrition et ses complications sont souvent associées à une prolongation des séjours hospitaliers. Un patient dénutri nécessite plus de soins, ce qui entraîne un coût supplémentaire pour les hôpitaux. Selon certaines études, un patient dénutri peut rester à l'hôpital jusqu'à 30 % plus longtemps qu'un patient non dénutri, avec un coût quotidien supplémentaire de 1 500 à 2 000 €.
La dénutrition et les carences nutritionnelles augmentent le risque de complications médicales telles que les infections, les escarres, et les retards de cicatrisation, ce qui nécessite des interventions supplémentaires, des traitements médicamenteux et, parfois, des réhospitalisations.


Augmentation des dépenses de santé

En France, la dénutrition est responsable d'une part importante des dépenses de santé. En novembre 2019, la Haute Autorité de Santé a estimé que la dénutrition coûtait environ 1 milliard d'euros par an au système de santé français. Ce chiffre inclut les coûts liés aux soins hospitaliers, aux consultations, aux traitements, et à la prise en charge des complications liées à la dénutrition.
Ces coûts englobent également la perte de productivité, tant pour les patients (en raison d'arrêts maladie prolongés) que pour leurs proches, souvent amenés à réduire leur activité professionnelle pour prendre en charge des membres de leur famille dénutris.

Coût pour les établissements de soins

La gestion de la dénutrition dans ces structures entraîne des coûts supplémentaires en termes de personnel, de surveillance nutritionnelle, et de prise en charge spécialisée (nutritionnistes, diététiciens, etc.).

Impact sur les assurances et les dépenses sociales

Le remboursement des soins liés à la dénutrition, y compris les traitements nutritionnels spécifiques (compléments alimentaires, nutrition entérale, etc.), pèse sur le budget de l'Assurance Maladie. La prévention et la gestion de la dénutrition pourraient permettre de réduire ces coûts à long terme.
Les personnes dénutries, en particulier les personnes âgées, peuvent devenir plus dépendantes, ce qui augmente les demandes de prestations sociales comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ou l'aide à domicile.

 

Conclusion

Les carences nutritionnelles ont des impacts majeurs sur la santé. Un dépistage précoce, une alimentation équilibrée et une supplémentation adaptée permettent d’éviter les effets négatifs pour le corps et la qualité de vie.

Cette initiative d'Intertio et de l'AP‑HP permettra une meilleur identification des carences nutritionnelles, une amélioration du parcours patient, une meilleure prise en charge des patient et la réalisation d’économies à long terme au niveau sociétal. 

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